« Rencontre des acteurs de projets Citoyenneté jeunesse » à la MC93 …

  

Il y un an nous organisions notre journée de « Rencontre des acteurs de projets Citoyenneté jeunesse ». Enseignants, artistes, journalistes, médiateurs, créateurs de liens sur le territoire se sont retrouvés à la MC93 pour échanger autour des pratiques de l’éducation à/par l’image, aux médias et à l’information.

Les échanges se sont déroulés en deux temps, avec d’abord une présentation de projets menés autour de l’image puis – en regard – un dialogue avec Philippe Meirieu autour de la question de l’image : de la captation à l’émancipation.

Nous repostons cet article qui revient sur les contenus vivifiants cette journée.

Citoyenneté Jeunesse a amorcé avant l’année 2015 – et les attentats qui l’ont marquée – un virage important vers le champ des images. Ceci pour accompagner jeunes et enseignants face à cette multiplication/écran des images, à l’évolution des usages, des pratiques, des rapports et des comportements – en particulier des jeunes. Partenaire de l’école, l’association s’est faite le relais d’une demande urgente et croissante des équipes éducatives de construire, à un niveau pertinent, une réflexion et une action d’éducation citoyenne à l’image et par l’image à destination de cette jeunesse qui est le cœur de toutes nos attentions.

C’est dans ce contexte et dans cette perspective qu’a été imaginée, en partenariat avec le studio Hans Lucas, la résidence du réalisateur Alexandre Liebert qui a porté durant un an son regard sur 6 classes engagées dans un travail autour de l’image. Ces 6 classes différentes (artistes, objectifs, progressions) n’avaient que comme seul dénominateur commun dans leur parcours mêlant pratique et réflexion la visite de l’exposition « Soulèvements » au Jeu de Paume… et cette interrogation en toile de fond : « et toi qu’est-ce qui te soulèves ?» L’intervention d’un artiste pour observer ces expériences et ces rencontres n’a pas eu vocation à « rendre compte de » mais bien à livrer un regard ( des interrogations) et proposer des images et témoignages différents de ceux entendus souvent en matière d’éducation artistique et culturelle ou d’éducation aux médias et à l’information. Avec la caméra, il s’agissait de mettre en images des données difficilement mesurables comme la transmission, le partage d’expérience, la rencontre, la construction d’un rapport de confiance, l’écriture d’un récit en commun. Avec la volonté que ces courts films et le web-documentaire, l’Imaginarium, qui relatent cette aventure soient largement diffusables et deviennent une ressource pour les enseignants et passeurs d’images. Et ainsi, aider à penser autrement les démarches d’éducation aux images et aux médias et en proposer de nouvelles, au croisement du « voir », du «  faire » et du « faire voir ».

C’est à partir du visionnage d’extraits de l’Imaginarium et des retours d’expériences d’artistes, de chargés de projets de Citoyenneté jeunesse et d’enseignants qui ont vécu cette aventure que Philippe Meirieu a été invité à réagir et à partager ses réflexions et ses expériences d’enseignant ou de chercheur autour du rapport entre « Images, Médias et Citoyenneté ». Force est de constater que les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont induit des bouleversements profonds dans nos rapports aux images. La multiplication des écrans en autant de supports de production, de diffusion et de réception d’images (fixes ou animées) produit un déferlement d’images qui place – notamment les jeunes – dans ce que Philippe Meirieu qualifie de « sidération ». Un martèlement/bombardement d’images qui fige le sujet et le rend inerte.

Une sidération paralysante qui place de plus en plus de jeunes dans une position d’ « acceptants » de théories invraisemblables mais pourtant bien présentes sur un grand nombre de sites internet dont l’existence est ignorée par l’immense majorité des adultes. Le conspirationniste règne sur la toile. Nombreux sont les adolescents absolument convaincus de ce qu’ils avancent en pointant l’argument fondamental : « Je l’ai vu sur internet ». Cette tendance à l’asservissement des esprits par les images et leur médium, l’écran, avait déjà été pointée par l’écrivain italien, Pier Paolo Pasolini dans les années 1960 : « L’écran de télévision est la terrible cage de l’opinion publique, servilement servie pour obtenir un asservissement total ».

Partant de cette mise en garde, Philippe Meirieu retrace les risques réels d’une exposition continue des individus – en particulier des plus jeunes – aux écrans mais insiste surtout sur les espoirs dont sont porteurs les démarches actuelles proposant une approche critique des images et des médias, telle que celles portées par Citoyenneté jeunesse. Selon lui, la surexposition – passive – des individus aux images comporte le risque d’un maintien dans une posture de « sidération », c’est à dire une phase dans laquelle le sujet reste « scotché » dans une attitude à l’égard de ce qu’il voit qui l’empêche d’avoir la moindre distance réflexive. A cette posture de sidération devant les images répond la possibilité des individus de consommer massivement les images – au travers d’outils technologiques les plaçant de facto dans une posture de toute puissance. Le sujet est passif, sidéré, contrôlé, devant les écrans, mais il a l’illusion qu’il a le pouvoir ! Ces « phallus hi-tech » – jadis matérialisés par la télécommande et aujourd’hui par les smartphones – faussent, par un zapping permament, nos rapports aux images et bloquent toute pensée critique. Nous sommes sortis des institutions disciplinaires décrites par Michel Foucauld pour renter dans une société de contrôle. Celui-ci ne s’exerce plus désormais dans l’enfermement, mais de manière continue…

Face à ces constats, Philippe Meirieu propose de restaurer un rapport didactique aux images et met en avant plusieurs principes d’action applicables dans les démarches- projets à destination de jeunes. Essentielle est pour lui la question de l’intentionnalité du regard qui doit être rappelée afin que les jeunes prennent conscience que toute image est le fruit du point de vue particulier d’un individu qui, par son approche subjective, transforme le Réel. Il est nécessaire est, par ailleurs, de s’extraire du règne de « l’obscène » – c’est à dire de la tendance à tout montrer, tout donner à voir au détriment de la pensée critique. Les différents acteurs de projet pointant le fait que le rapport que les jeunes entretiennent avec l’image se réduit trop souvent à la dimension « obscène », à une conception des images perçues comme évidentes et de moins en moins questionnables, des images-croyances. En matière d’images, Philippe Meirieu insiste sur l’urgence à libérer la subjectivité des élèves en leur ouvrant un espace de réflexion critique et d’expression artistique.

Dans le contexte actuel, où les responsabilités des médias et réseaux sociaux sont dénoncées, les images tendent à perdre de leur valeur symbolique et s’imposer comme une donnée absolue, facilement mise en scène voire manipulable. Les participants des démarches projets pointent aujourd’hui l’urgence de questionner, par ce biais et sur la durée, le statut réel des images, les notions de preuve, de vérité, de falsification et de favoriser in fine un rapport dialectique propice à l’ouverture sur le monde et l’émancipation citoyenne.

Ces démarches d’ouverture à destination des élèves (formulation d’une pensée critique, d’un imaginaire, affirmation d’une subjectivité, d’un rapport au monde et d’une conscience citoyenne) construisent de nouveaux rapports de confiance entre adultes accompagnateurs et élèves et ont, depuis longtemps, démontré leur valeur et leur utilité sociale. Elles sont cependant loin d’être suffisantes. Pour Philipe Meirieu comme pour les participants à cet échange (médiateurs et enseignants) il est urgent e s’interroger collectivement sur le rôle et la place des images dans notre société. Loin de n’être qu’une question scolaire, il s’agit plus largement d’une question d’ordre démocratique pointant les responsabilités politiques sur les médias et les entreprises du numérique, vecteurs aujourd’hui de la majorité des sources de production d’images et d’informations – et des représentations du monde qu’elles façonnent.